Qu’est-ce que l’Iconographie médiévale ?

Sébastien Biay

L’Iconographie médiévale est le domaine de la médiévistique (étude de la civilisation médiévale) consacré aux images (du grec eikôn). Il ne s’agit pas à proprement parler d’une discipline puisque, selon le découpage universitaire traditionnel, l’étude des images relève de l’Histoire de l’art.

L’iconographie est en vérité un concept d’une redoutable ambiguïté ; d’abord parce que, à l’instar de l’histoire, il désigne à la fois un domaine de la connaissance et son propre objet, comme dans la phrase suivante : « L’histoire de Charlemagne (sa vie) appartient à l’Histoire avec un grand H (la discipline scientifique). » Seconde ambiguïté : les positions des historiens de l’art divergent quant à l’objet de l’Iconographie (comme domaine scientifique). Pour les uns, cet objet est l’image dans tous ses aspects, tandis que pour d’autres, il s’agit de son seul contenu, l’analyse des formes faisant l’objet d’un discours propre et indépendant. Ces positions reflètent des méthodologies disciplinaires différentes, notamment sur les relations existant au sein de l’image entre fond et forme, mais en somme, l’Iconographie est le domaine de la connaissance historique qui se préoccupe de l’interprétation des images.

« L’image médiévale » n’existe pas

L’existence d’un seul domaine de la connaissance consacré aux images est une autre source d’ambiguïté… Il ne viendrait pas à l’idée de parler de la place de « l’image » dans notre société contemporaine : que trouverait-on en commun entre une affiche publicitaire, la photographie d’un attentat en Afghanistan, un dessin de Picasso, le portrait autocollant d’un joueur de football… Un iconographe étranger à notre planète qui devrait comprendre notre monde globalisé sur la base de ces quatre documents éprouverait certainement de sérieuses difficultés. Les supports visuels en circulation dans la société médiévale étaient certes moins nombreux, mais leur diversité restait considérable. De l’enveloppe architecturale aux objets qu’il contenait, le bâtiment ecclésial est sans doute celui qui offrait la plus riche profusion de supports iconographiques : portails, chapiteaux, autels, stalles de bois sculptées, livres liturgiques enluminés, vaisselle d’orfèvrerie, etc. Tous ces supports étaient susceptibles d’accueillir des représentations figurées (figures humaines, végétales, animales…) voire historiées, c’est-à-dire illustrant un ou plusieurs épisodes de l’histoire humaine (politique, biblique, mythologique). Une des problématiques de l’Iconographie médiévale est ainsi de comprendre les relations pouvant exister entre une représentation et la fonction (sociale, rituelle, liturgique) de son objet-support. De cette multiplicité de supports il découle que le concept « d’image» n’a pas d’unicité dans la société médiévale.

L’art médiéval n’est pas un catalogue de symboles : L’exemple des vices

La récurrence de certains types iconographiques ne signifie pas forcément que les imagiers médiévaux devaient se conformer à des consignes de représentation très précises. Les vices ou les péchés mortels comptent parmi les images médiévales les plus facilement identifiables par les amateurs du Moyen Âge. La comparaison de trois cycles des vices permettra de mettre en lumière certains enjeux de l’analyse d’images. Les trois cycles remontent au XIIe siècle ; le premier se trouve sur le tympan du portail de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques (Aveyron) — c’est une des œuvres les plus célèbres de l’art roman en France —, le deuxième sur une voussure du portail de l’église Saint-Pierre d’Aulnay (Charente-Maritime) et le troisième dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque universitaire de Gand (Belgique) sous la cote 92 : le Liber Floridus de Lambert de Saint-Omer.

À Conques, les pécheurs sont localisés dans un espace clos au centre duquel trône Satan. Ils sont représentés dans les tourments que leurs infligent les démons, chacun subissant un châtiment propre à son péché — au centre par exemple, l’avaricieux est pendu avec une bourse autour du cou (une image qui rappelle quelque chose…).

À Aulnay, le sujet représenté est la victoire des vertus sur les vices : les vertus, représentées sous les traits de six femmes-soldats, terrassent autant de démons sous leur pieds. Les protagonistes sont accompagnés d’inscriptions latines permettant de les identifier.

Enfin, dans le Liber Floridus, une double page présente, en regard l’un de l’autre, « l’arbre des vertus » et « l’arbre des vices ». Dans le premier, des médaillons accueillent des bustes de femmes tandis que les médaillons présentant les vices sont remplis d’inscriptions.

Conques et Aulnay : Orner la porte de l’église

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Figure 1 : Les Conques, Abbatiale Saite-Foy, Detail du tympan

Ces trois exemples montrent trois types de représentation du thème des vices. À Conques, ils s’incarnent dans les gens du siècle : ces personnages représentent tout chrétien qui serait tenté par les péchés mortels. Une inscription court le long du tympan et s’adresse au spectateur en ces termes : « Les voleurs, les menteurs, les trompeurs, les cupides, les pillards, sont ainsi damnés tous ensemble avec les scélérats. Ô pécheurs, si vous ne changez vos mœurs sachez qu’un jugement sévère vous attend. » L’individualisation des pécheurs et de leurs châtiments illustre la multiplicité des tentations et fonctionne de paire avec l’énumération textuelle. Dans le même temps, la représentation du thème des vices par le châtiment des pécheurs résonne comme une mise en garde et un appel à la conversion.

À Aulnay, on a opté pour des personnifications des vices (et des vertus). L’enjeu n’est plus la lutte contre les péchés qui se trame dans chaque chrétien mais une victoire dans l’absolu des vertus sur les vices. On comprend ainsi que les vertus et les vices ne soient plus individualisés par des objets ou des attitudes mais que leur aspect soit homogène : on a représenté la victoire de toutes les vertus sur tous les vices plutôt que la victoire de chaque vertu sur chaque vice.

Les cycles de Conques et d’Aulnay apparaissent tous les deux sur des portails d’église ; qu’il s’agisse d’une mise en garde par la représentation des châtiments ou de la promesse d’une victoire de toutes les vertus sur les vices, ces représentations sont intimement liées au thème de la porte dont le passage est une transformation à la fois physique (comme changement de lieu) et spirituelle : entrer dans l’église — le bâtiment ecclésial — c’est entrer dans l’Église — la communauté sauvée par le sacrifice du Christ. Le Christ ayant vaincu les vices par sa vie, sa mort et sa résurrection, ceux qui franchissent la porte de l’église/Église s’associent à cette victoire.

Liber Floridus : Enseigner par l’image

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Figure 1 : Aulnay, Eglise Saint-Pierre, La chasteté terrassant la luxure

L’iconographie des vices dans le Liber Floridus ne peut évidemment pas être lue de la même manière… En l’absence de toute représentation des vices en tant que telle, c’est la figure de l’arbre qu’il importe de comprendre ici. Les deux pages du manuscrit en vis-à-vis présentent des agencements parfaitement symétriques : à chaque médaillon contenant la personnification d’une vertu en correspond un autre, consacré à un vice. Du côté des vices, on constate qu’au-delà de l’absence de représentation figurée, les fonds de médaillons sont de la couleur de la page et les arbres (en forme de larmes) ne portent aucun fruit coloré comme sur la page des vertus. L’image tient ainsi un double propos : d’une part, elle présente une hiérarchie des vertus et des vices : ils se distribuent entre le tronc, les branches inférieures et les branches supérieures ; le réseau des branches implique à l’évidence des relations de dépendance entre les médaillons (par exemple, la charité est la racine de toutes les vertus ; à travers l’espérance, elle donne naissance à la joie et à la patience). D’autre part, l’image montre que si l’arbre des vices a la même structure que celui des vertus, ce dernier fructifie tandis que l’autre reste stérile.

image1 image1 Figure 2 : Liber Floridus de Lambert de Saint-Omer, fol. 231 verso et 232 recto, Arbres des vertus et des vices

Cette image vaut moins par la manière dont on a représenté les vertus ou les vices que par l’adaptation du thème à la figure de l’arbre, modèle très répandu dans l’iconographie de certains manuscrits à partir du xiie siècle. Certains monastères ou écoles cathédrales utilisaient ainsi des manuscrits comme support de l’enseignement dogmatique dispensé aux clercs : l’image permettait, peut-être avec plus de force et de clarté que la parole du maître, d’associer des contenus dogmatiques abstraits (les vertus et les vices en l’occurrence) à des figures symboliques très récurrentes (l’arbre, l’échelle ou encore la roue).

On voit, au terme de ce bref parcours, que l’Iconographie médiévale ne se résume pas à identifier des sujets cryptés — il arrive que l’inventivité débordante des imagiers médiévaux pose des énigmes insolubles… — mais qu’elle consiste à saisir la logique propre à chaque représentation, et pour ce faire, à élucider le réseau de relations complexes que l’image noue avec son contexte historique.

Bibliographie

Pour aller plus loin

  • J. Baschet, « L’iconographie médiévale », Paris, 2008.
  • J.-Cl. Schmitt, « Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge », Paris, 2002.

Cet article s’appuie sur

  • J.-Cl. Bonne, « À la recherche des images médiévales », Annales ESC, 46:2, 1991, p. 353-373.
  • J.-Cl. Bonne, « L’art roman de face et de profil. Le tympan de Conques », Paris, 1984.
  • J.-Cl. Schmitt, « Les images classificatrices », Bibliothèque de l’École des chartes, 147:1, 1989, p. 311-341.

Crédits photographiques

  • Conques et Aulnay : Clichés de l’auteur, tous droits réservés.
  • Liber floridus : Lamberti S. Audomari canonici Liber floridus, codex autographus Bibliothecae Universitatis Gandavensis, éd. A. Derolez, Gand, 1968.
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