NCIES - Poitiers
Equipe médiéviste : Emmanuelle Roux, Sébastien Biay

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Emmanuelle Roux
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Sébastien Biay

On ferait fausse route en cherchant la solution du mystère dans le rituel d’une confrérie occulte. Une connaissance élémentaire de la civilisation médiévale dévoile bien vite le sens de cet amalgame de signes...

La bourse pendue autour du coup de la victime ainsi que la main posée sur la poignée de l’arme blanche retrouvée plantée dans son plexus solaire illustrent respectivement deux péchés mortels. Le premier est l’avarice. L’avaricieux est un des pécheurs les plus représentés dans les images médiévales ; la bourse qui l’étrangle est généralement aussi grosse que sa tête ! Si la pendaison est le supplice qu’on lui associe le plus volontiers c’est en référence au traître Judas, qui, selon les évangiles, se suicida de cette manière après avoir vendu le Christ pour la somme de trente deniers. La mise en scène du suicide par arme blanche renvoie au péché de la colère : la Colère retourne son arme contre elle-même d’après le poète latin Prudence (IVe-Ve siècle). Les imagiers médiévaux ont abondamment puisé dans son poème intitulé la Psychomachie. Quant à la coupe placée sous le corps de la victime, elle fait certainement allusion au thème dit du pressoir mystique, où l’on représente le sang du Christ s’écoulant directement dans le calice utilisé lors de la messe — trait d’union entre le Sacrifice et sa célébration rituelle.

Conques
Figure 1 : Conques, Avaricieux (XIIe s.)
Sang du rédempteur
Figure 2 : Giovanni Bellini,
Le Sang du Rédempteur (1460)
, Londres, National Gallery)
colère
Figure 3 : Vérelay, Colère (XIIe

Le rassemblement de ces éléments ne renvoie à aucun rituel médiéval en particulier ; il s’agit plutôt d’une mise en scène « pittoresque » (si l’expression est de circonstance…). En ce sens, le meurtre du président a moins de chances d’être l’œuvre d’un groupe organisé en confrérie que d’un individu isolé, doté de certaines connaissances en histoire médiévale. Connaissances sans doute très relatives étant donné la simplicité du décryptage… Un fait reste néanmoins troublant : la mise en scène et le contenu du manuscrit semblent concorder. Après étude, le morceau de manuscrit retrouvé sur les lieux du crime s'avère être un fac-simile d'un manuscrit rédigé en moyen anglais. L'étude paléographique présente les caractéristiques de « l’Anglicana book hand » c'est-à-dire d'une écriture utilisée aux XIVe et XVe siècles par les scribes anglais. Ce texte daterait donc de 1400-1450. Après avoir pris connaissance de son contenu, on peut affirmer qu'il s'agit d'un extrait de la traduction d'un texte français, Somme le roi, et intitulé le Livre des vices et des vertus dans sa version anglaise. C'est une copie très partielle du manuscrit Royal 18.A.X conservé par la British Library de Londres, dont le sujet est le péché capital de la Colère.

Extrait traduit en français : La quatrième guerre du coléreux est envers ses voisins et ses semblables. Et de cette branche naissent sept brindilles car quand la colère monte entre deux hommes, d'abord ils se battent puis la rancœur s'installe en leurs cœurs , puis vient la haine rapidement suivie par la bagarre, puis le désir de vengeance, puis parfois par le meurtre d'un homme et parfois par des guerres mortelles entre leurs amis d'où découlent alors beaucoup de grands malheurs et de dangers qui ne pourront être réparés. Si cette expertise ne livre que peu d’informations sur le profil du meurtrier, qui n’est probablement pas un spécialiste en histoire médiévale, elle révèle peut-être le mobile du crime : une vengeance d’origine crapuleuse.


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