NCIES - Poitiers -
Equipe sociologue : Sophie Orange
Un sociologue, c’est quoi ?
« Rares sont les histoires drôles sur les sociologues. A côté de leurs petits camarades, les psychologues qui, plus favorisés, ont pratiquement remplacé les clergymen dans l’humour américain, ils ont de quoi se sentir un peu jaloux. Dans les soirées mondaines, l’étiquette de psychologue suscite un vif intérêt, mêlé d’une hilarité un peu gênante. Dans la même situation, un sociologue n’éveille guère plus l’attention que si l’on avait annoncé un représentant en assurances. Il doit se débrouiller autrement, comme n’importe qui, pour se rendre intéressant. C’est fâcheux et injuste, mais il y a un enseignement à tirer. La pénurie de bons mots sur les sociologues nous indique, évidemment, qu’ils ne frappent pas autant l’imagination populaire que les psychologues. Mais aussi qu’il y a probablement une certaine ambiguïté dans les représentations courantes de la sociologie. Il paraît donc utile de commencer ici par un examen de certaines de ces images. » p. 35
« Ce que le sociologue n’est pas :
- Ni un ami du genre humain.
- Ni un théoricien du travail social.
- Ni un réformateur.
- Ni un collecteur de statistiques.
- Ni un spécialiste de la méthodologie.
- Ni un jargonneur abscons.
- Ni un personnage cynique. »
– Extraits de Peter L. Berger. Invitation à la sociologie, Paris La Découverte, 2006.
Mais alors, c’est quoi un sociologue ?
Nous vous proposons, à travers deux leçons de sociologie et un quizz, de mieux identifier ce qu’est un sociologue, et en quoi consiste son travail.
1. La petite leçon de sociologie d’Emile Durkheim
L’objet de la sociologie : l’étude des faits sociaux
La sociologie est une discipline récente. Elle se constitue comme discipline autonome grâce au travail d’Emile Durkheim à la fin du XIXème siècle. Pour ce faire, il fallut à la fois la distinguer, par son objet, de la psychologie qui étudie des phénomènes individuels et par sa méthode, de la philosophie qui établit des propositions générales déduites d’a priori et non des méthodes expérimentales propres à la science.
a) L’objet de la sociologie est le fait social. Qu’est-ce qu’un fait social ?
Les faits sociaux sont « des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu et qui sont doués d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui. »
Un fait est social dès lors qu’il présente une régularité statistique. Ces régularités prouvent que les faits sociaux ne sont pas la simple addition d’actions individuelles.
Par exemple, on note des régularités dans les taux de suicide de chaque société : la courbe qui les représente, est lisse et régulière. Or, si les causes des suicides étaient irréductiblement individuelles, la courbe des taux de suicide devrait prendre une allure heurtée, leur sommation, année après année, n’ayant aucune raison de donner un chiffre régulier.
« Les causes qui fixent ainsi le contingent des morts volontaires pour une société ou une partie de société déterminée doivent donc être indépendantes des individus, puisqu’elles gardent la même intensité quels que soient les sujets particuliers sur lesquels s’exercent leur action. ». Emile Durkheim, Le suicide.
Un autre exemple de fait social : le taux d’échec en première année d’université : il s’agit d’un taux régulier dans le temps et dans l’espace. Il est d’environ 30 %, quelle que soit l’université…
b) Règles relatives à l’observation des faits sociaux
Pour Emile Durkheim, « les faits sociaux doivent être traités comme des choses », c’est-à-dire que le sociologue doit se tenir à distance de son objet d’étude pour écarter les prénotions (fausses évidences, préjugés).
En cela, Emile Durkheim s’appuie sur le travail de Gaston Bachelard pour qui l’accès à la connaissance passe par la rupture avec la pensée pré-scientifique. Le scientifique doit donc franchir des obstacles épistémologiques.
c) Expliquer les faits sociaux par d’autres faits sociaux
La règle d’or consiste à étudier séparément les fonctions et les causes d’un phénomène social. Les causes sont à chercher exclusivement dans d’autres faits sociaux (et non dans des motivations psychologiques), les fonctions sont à chercher dans le but social qu’il poursuit.
d) Administrer les preuves par la méthode comparative
La méthode comparative est la seule à même de déterminer les causes d’un phénomènes social.
Pour reprendre l’exemple du suicide, Emile Durkheim met en évidence le fait que le taux de suicide est plus élevé en été qu’en hiver, le jour que la nuit, et en début de semaine qu’en fin de semaine, car l’intensité de la vie sociale y est plus grande.
Bibliographie :
- Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF Quadrige, 1895.
- Durkheim Emile, Le suicide, Paris, PUF Quadrige, 1987.
- Delas Jean-Pierre, Milly Bruno, Histoire des pensées sociologiques, Paris, Sirey, 1997.
2. La petite leçon de sociologie du Docteur House
Une difficulté de la sociologie : les hommes parlent…
Lorsque le sociologue entend tirer des faits la problématique et les concepts théoriques qui lui permettent d’analyser les faits, il risque toujours de les tirer de la bouche de ses informateurs. Il ne suffit pas que le sociologue se mette à l’écoute de ses sujets, enregistre fidèlement leurs propos et leurs raisons, pour rendre raison de leur conduite et même des raisons qu’ils proposent : ce faisant, il risque de substituer purement et simplement à ses propres prénotions les prénotions de ceux qu’il étudie, ou un mixte faussement savant et faussement objectif de la sociologie spontanée du chercheur et de la sociologie spontanée de son objet…
Docteur House sociologue. Pour établir ses diagnostics, le Docteur House doit, à la manière du sociologue, se départir de ses prénotions et de celles de ses patients. Il doit éviter que leur propre interprétation des faits ne vienne orienter l’établissement de son diagnostic par la
méthode scientifique. Pour cela, il évite autant que possible le contact direct avec les patients.
Exemple 1.
- Docteur House : Je suis le Dr. House, le médecin de votre fils.
- Le père du patient : Oh celui que l’on ne connaît pas. Mais comment faites-vous pour le soigner sans le voir ?
- Docteur House : C’est facile j’en ai rien à foutre de lui.
Exemple 2.
- Patient : Je suis très fatigué.
- Docteur House : Et sinon, pourquoi croyez-vous souffir d’un syndrome de fatigue chronique ?
- Patient : C’est la définition du truc, non ?
- Docteur House : C’est aussi la définition du vieillissement.
Il ne s’agit pas pour autant pour le sociologue d’ignorer, comme le fait parfois le Docteur House, ce que disent les sujets qu’il observe. Le sociologue a bien évidemment intérêt à recueillir le discours des individus en question mais ce à condition de n’y voir non l’explication toute simple du comportement, mais bien un aspect du comportement à expliquer.
3. Application. QUIZZ. Qui a dit ça ? Un sociologue ou le Docteur House ?
Rapportez chaque citation à son auteur : Un sociologue (ou assimilé) ou le Docteur House ?
- « Les symptômes ne mentent jamais »
- « Tout est conditionnel. On ne peut simplement pas toujours prévoir les conditions »
- « Les erreurs sont aussi importantes que les résultats qu'elles causent! »
- « Nous sommes ce que les gens pensent que nous sommes »
- « Le bizarre a du bon. Le commun peut avoir des centaines d'explications, le bizarre à peine une. »
- « Les arguments rationnels ne fonctionnent généralement pas avec les personnes croyantes. Sinon, ce ne serait pas des personnes croyantes. »
- « Les idées ne sont rien d'autre que les choses matérielles transposées et traduites dans la tête des hommes. »
- « C'est une vérité de base de la condition humaine que tout le monde ment. »
- « Chercher des applications ne doit être ni l'objet d'une science ni le but d'une science »
- « Vouloir n’avoir que le meilleur n’implique pas forcément une vision juste. »
- « Un des effets principaux que produisent les sondages c'est d'imposer aux gens des questions idiotes ou des questions qui n'intéressent que ceux qui les posent »
- « Sur terrain plat, de simples buttes sont des collines »
- « C'est un lupus »
- « Toute connaissance est une réponse à une question »
- « C'est dans le mensonge que la vérité commence »
- « On ne tient compte que des anomalies anormales »
- « Quand il s'agit d'écrire des sottises, il serait vraiment trop facile d'écrire un gros livre »
- On veut toujours que la cause soit à l'endroit de l'effet
Réponses :
- Docteur House
- Docteur House
- Docteur House
- Docteur House
- Docteur House
- Docteur House
- Un sociologue : Karl Marx
- Docteur House
- Un sociologue : Marcel Mauss
- Docteur House
- Un sociologue : Pierre Bourdieu
- Un sociologue : Karl Marx
- Docteur House
- Un assimilé sociologue : Gaston Bachelard
- Docteur House
- Docteur House
- Un assimilé sociologue : Gaston Bachelard
- Un sociologue : Pierre Bourdieu
Auteur : Sophie Orange, doctorante en sociologie à l’université de Poitiers, GRESCO.
Liens :
GRESCO : Groupe de recherches et d’études sociologiques du Centre-Ouest. http://gresco.labo.univ-poitiers.fr
Le GRESCO est une équipe de recherche en sociologie constituée de 28 d’enseignants-chercheurs statutaires ou associés et de 24 doctorants.
Il fédère les sociologues de l’Université de Poitiers (autrefois membres du SACO) et ceux de l’Université de Limoges (autrefois membres du GRESOC).
Créé en 2008, il est co-habilité par les Universités de Limoges et de Poitiers et centre ses activités de recherche autour des questions relatives à l’éducation, la formation, les catégories d’analyse, la culture et les solidarités.
Formations dispensées ou associées :
- Master Sciences humaines et sociales mention sociologie – Méthodes d'analyse du social (MAS)
- Master Sciences humaines et sociales mention sciences humaines – Sciences humaines pour l’éducation (SHE)
THEMES DE RECHERCHE DE L’EQUIPE GRESCO EA 3815
Processus d’apprentissage et inégalités sociales
Connaissance du social : catégories de pensée, catégories de l’action
Cultures, territoires, solidarités collectives
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